Mohamed Yacine Sani Amadou

Spontanément j’associe au mot “étranger” la diversité culturelle, la découverte de l’autre, intellectuelle, psychologique, sensible, spécifique. Ensuite en me penchant sur ce mot avec une perspective de chef d’entreprise, je pense à la multiplicité de points de vue, d’opinions que cela amène. Selon les cultures, les approches commerciales varient par exemple, les réactions, les types de combativités sont différents et c’est une richesse. Je ne peux m’empêcher de convoquer le concept d’intégration, il est important de rappeler que l’entreprise en est l’un des premiers lieux : y rentrer c’est avoir un métier qui permet de répondre aux besoins de base, de se nourrir et d’avoir un toit. Aujourd’hui, prononcer le mot étranger est rude, car à peine passe-t-il les lèvres qu’il semble appartenir au vocabulaire du sectarisme.
Malheureusement, c’est parce qu’une partie de la société contemporaine l’utilise comme tel. Dans une entreprise comme la mienne, je tiens à ce que les choses soient claires à ce sujet et mes décisions sont fortes et sévères face à des réactions de rejet, souvent basées sur de l’ignorance. J’aimerais dire d’ailleurs que ça n’est pas un sujet, mais je peux me permettre de penser cela parce que j’ai baigné dans la multiculturalité toute ma vie.“Étranger” est un mot que je n’aime pas utiliser et je le bannis du langage d’entreprise. En tant que PDG, je ne parle pas d’étrangers, mais de forces vives, de cultures différentes. Je recrute des personnes, pas des couleurs ou des origines. Il n’est pas question d’effacer la réalité de ces couleurs ou de ces origines, mais en terme managérial pour moi ce qui est décisif est dans la richesse des parcours.
Dans les pays caucasiens, on peut constater un certain manque d’ouverture d’esprit sur la différence, lié à la prise de risque qu’elle impliquerait. Cette prise de risque, qui est réelle, c’est de placer quelqu’un à un poste pour lequel on est convaincu qu’il a les compétences et le savoir-faire tout en acceptant qu’il y ait une phase d’acculturation inévitable dont on ne peut mesurer la temporalité. En tant que PDG c’est une forme d’intégration à laquelle je crois profondément et c’est donc un risque que je choisis de prendre. L’énergie et la richesse qui se dégagent d’une équipe composée de personnes qui viennent de partout dans le monde sont inestimables. Dans une équipe managériale, dans un comité de direction, si on fait des différences entre les personnes qui les composent on recrée un fossé, or, le mélange est tout l’inverse de cela, il enseigne le respect de l’autre, questionne sur soi-même, génère une curiosité saine, il crée des liens. Être étranger est une notion malléable, vraie dans le monde entier, pour tous·tes. Personnellement j’ai été l’étranger d’un autre, je me suis senti étranger ailleurs autant qu’étranger dans mon propre pays. Le mot étranger disparaîtra, il appartient à un monde vieillissant, les nouvelles générations sauront s’en défaire, c’est déjà en cours. PATRICK BLETHON PRÉSIDENT ÉXÉCUTIF DU GROUPE SAUR

“Je pense que sur cette terre on est tous étrangers en quelque sorte. Tout le monde peut voyager dans le but de chercher mieux ailleurs. Pour moi, un étranger, c’est juste un voyageur allant d’un endroit à un autre et qui va peut-être retourner chez lui un jour… ou peut-être pas selon les aléas de la vie. Après c’est l’attitude des autres à notre égard qui nous fait nous sentir étrangers ou pas. Au Niger, le mot étranger est synonyme d’invité, on a une certaine obligation vis-à-vis d’un étranger : tu es obligé de l’assister, tu es obligé de l’accueillir, de lui ouvrir les portes au moins pour un certain temps.

Être étranger en France, ça a ses bons et ses mauvais côtés. Ça attire pas mal les gens : ils aiment découvrir d’où l’on vient et comment ça se passe dans notre pays. Pour d’autres personnes, les étrangers sont des nuisibles, des gens qui sont là pour les empêcher d’évoluer, pour les empêcher de travailler. À une époque, j’ai ressenti ça ! Pendant mes études, c’était plus tranquille parce qu’on était entre amis.

Mais une fois qu’on essaye de rentrer dans le monde professionnel, ça devient… Mais on est venu pour se chercher, pour trouver de quoi assister nos familles. Grâce à mon travail je peux apporter une assistance financière à ma famille en Afrique en cas de besoin et certainement dans le cadre professionnel pour mon pays, quand je retournerai grâce à l’expérience que je vais me forger ici en France.

Je suis arrivé en France en septembre 2014 dans le cadre de mes études. J’ai fait une licence Métiers de l’eau à Digne-les-Bains dans le Sud. Après je suis allé
à Marseille pour faire un Master en management de l’environnement. Chez Saur, actuellement j’occupe le poste de chargé de production. Dans les jours à venir
je prendrai mes nouvelles fonctions de chef d’équipe. Mon travail, le métier de l’eau, je l’ai découvert après mon bac, avec le temps c’est devenu une passion.
Ce qui m’a le plus étonné à mon arrivée en France ? Chez nous, peu importe le poste, c’est très compliqué d’y accéder tant que tu n’as pas les connaissances (les réseaux). Alors qu’ici en France, je peux construire ma carrière tout seul sans l’aide de personne.

Trois mots pour définir le mot Étranger : accueil, invité, voyageur.

Je n’aime pas être pris en photo mais là, je le fais par militantisme !”

MOHAMED YACINE SANI AMADOU
30 ANS, PAYS D’ORIGINE : NIGER
PILOTE D’USINE, CHARGÉ DE PRODUCTION CHEZ SAUR
ARRIVÉ EN FRANCE EN 2014