Ye Chang Jung

Un étranger est quelqu’un qui vient d’ailleurs sans forcément que ce soit d’un autre pays. Cela peut être une autre culture, des intérêts différents, une région différente. Je ne me sens personnellement pas moins proche d’une personne ayant grandi à Tokyo que de ma voisine du Poitou. En tant que métisse, ma façon de percevoir le regard de l’autre et le regard que je peux avoir sur l’autre découle d’une ouverture d’esprit qui m’habite déjà. Dans l’exercice de mon métier je n’ai donc aucun a priori, lorsque j’écoute un·e musicien·ne ou un·e chanteur·se, je ne me dis pas qu’il ou elle est tranger·e.
Le milieu de la musique classique et de l’opéra vit du mélange culturel de ses membres. Lorsqu’on pratique la musique à un haut niveau, il est récurrent que les enseignements soient donnés par des étranger·e·s selon les savoir-faire. Il y a toujours eu des échanges et des voyages. À l’OONM dans l’orchestre et le choeur, nous avons des artistes permanent·e·s étranger·e·s. Ce sont des sections qui s’intègrent sur concours. Ils et elles terminent leurs études en France, en Italie, en Autriche ou en Allemagne puis intègrent nos institutions de cette façon-là. Dans l’orchestre
et le choeur il y a des Russes, des Roumain·e·s, des Chinois·e·s, des Japonais·e·s, des Coréen·ne·s, des Italien·ne·s, une Finlandaise, des Catalan·e·s, des Espagnol·e·s, des Américain·e·s, des Sudaméricain ·e·s : ils et elles apportent tous et toutes quelque chose selon les répertoires abordés. Les techniques sont différentes, les sensibilités, les vécus, les approches aussi et la porosité que cela produit est fascinante. Si nous étions un bloc unique, tout serait lisse. Ces personnes arrivent avec leur univers, une relation à l’autre qui est différente et chacun·e va apprendre à fonctionner au coeur de ces différences. Sur les scènes, la diversité est un outil merveilleux, car cette pluralité des visages contribue à renouveler les publics. L’image est importante, il faut que tous·tes puissent se reconnaître. La question de qui raconte l’histoire est fondamentale pour savoir si ladite histoire va parler ou non à un public. Qui raconte ? Comment est-ce raconté ? Ce sont des questions capitales. Notre hautbois solo, un jeune homme coréen, occupe un des postes les plus prestigieux de l’orchestre.
C’est un très beau symbole, car c’est lui qui donne le “la” à l’ensemble des musicien·ne·s.
Diversifier nos scènes passe par les interprètes, les musicien·ne·s, mais aussi les employé·e·s de l’administration et de la technique.
Cela signifie de ne pas placer toujours les mêmes personnes aux mêmes endroits. Tout le personnel derrière une institution véhicule, s’il est diversifié, une autre image dans la société. La question de la représentation est cruciale. En cette période électorale, l’ambiance est lourde avec certains discours politiques haineux, inaudibles et incompréhensibles au regard de l’histoire du monde. Même si l’autre semble éloigné de nous, il faut fournir l’effort de le comprendre, chercher comment collaborer, comment construire ensemble l’avenir. Je suis motivée et animée tous les jours par
l’enrichissement que procurent à notre secteur toutes ces cultures qui cohabitent. Il y a des langues, des univers, des imaginaires, des récits différents que la musique permet de réunir. C’est dans le faire que le changement advient, ce n’est pas dans les discours.
La diversité est précieuse, cultivons cette terre riche de couleurs. VALÉRIE CHEVALIER , DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’OPÉRA ORCHESTRE NATIONAL MONTPELLIER OCCITANIE

“L’étranger, c’est quelqu’un qui vient d’ailleurs, qui n’a pas la même culture. Je pense que la France est un pays qui est quand même très ouvert aux étrangers. Fatalement je suis obligé de comparer par rapport à la Corée. Je pense que les étrangers n’ont pas autant d’opportunités là-bas.
À treize ans, je suis arrivé avec ma mère. Elle m’a aidé à m’installer.
Elle avait pris un an de congés. Une fois que j’étais installé, elle a dû repartir : elle devait reprendre l’Orchestre. J’avais des tuteurs officiels mais j’étais plus ou moins seul. J’ai eu des colocs, ma cousine était venue étudier aussi… Mais très vite, j’étais seul dans ce pays (rires). C’était un changement, mais j’ai plutôt bien vécu l’évènement. Je ne souffrais pas trop en tous les cas.
À l’école au début, je ne comprenais rien. Mes camarades de classe ne venaient pas me parler. Je ne leur en veux pas parce qu’à cet âge, on est moins conscient de tout ça. J’y repense de temps en temps.
C’est grâce à mes camarades de conservatoire, notamment un ami qui s’appelle Louis, plus âgé que moi. Lui, il m’aidait à bien parler français, à corriger mes fautes. Je suis toujours très ami avec lui.

La musique, c’est comme le sport d’une certaine manière, c’est basé sur la compétence et puis point ! Je trouve que c’est une bonne chose. Pour être honnête, si j’avais passé des auditions dans d’autres pays, que ce soit l’Allemagne ou l’Angleterre, où que ce soit, mon métier serait tout aussi important. Mais je chéris mon poste et
pour le moment, je ne compte pas faire d’autres auditions.

Ce qui m’a le plus étonné à mon arrivée en France ? Je le ressens toujours aujourd’hui : les coréens sont beaucoup plus pudiques que ce soit au niveau de la sexualité ou de l’intimité. Ici, il y a une liberté d’expression. Je trouve qu’on aborde un peu tous les sujets qu’on n’oserait pas aborder en Corée. En ayant vécu seize, dix-sept ans en
France, maintenant je me comporte comme un français, peut-être par mimétisme. C’est bizarre, mais aujourd’hui je me sens à la fois coréen et français. Je dirais même plus français que coréen.

Trois mots pour définir le mot Étranger : vivre ensemble, intégration, tolérance (pas en sens unique, mais réciproque, comme une sorte de miroir.)”

YE CHANG JUNG
30 ANS, PAYS D’ORIGINE : CORÉE DU SUD
HAUTBOIS SOLO À L’OPÉRA ORCHESTRE NATIONAL
MONTPELLIER OCCITANIE
ARRIVÉ EN FRANCE EN 2005