Mojeb Al Zahrari

Le mot étranger ne devrait-il pas être banni de notre vocabulaire ?
Dans un monde traversé par des moyens de transport internationaux, des systèmes de communication instantanée, une toile mondiale de réseaux sociaux, peut-on être encore
vraiment étranger quelque part ?! Et le vocable tend hélas à devenir le refuge des nostalgiques des frontières et des falsificateurs d’identités nationales.
Je ne plaide pas pour l’uniformisation des pratiques, des langues, des histoires, des territoires, des coutumes, des savoir-faire, des savoir-être. Au contraire, dans l’histoire de l’humanité, le monde n’a jamais été aussi apte à faire connaître et reconnaître nos différences. Car elles sont croisements fertiles et différences fécondes. À condition qu’elles soient placées sous l’égide de la réciprocité, ce que l’on appelle aussi le dialogue, et ce qui fonde des relations pacifiques entre les hommes.
La France s’est construite depuis des millénaires sur le bon accueil que ses habitants ont su réserver à leurs “étrangers”, ceux que l’on appelait “barbares”, venus du Sud, de l’Est et du Nord.
Et c’est toujours par le travail, la compétence, l’ouverture aux autres que nos nouveaux venus, trop longtemps appelés étrangers, ont acquis le statut de citoyen français.
La tolérance, la laïcité, le respect des minorités, sont autant de valeurs qui résistent aujourd’hui aux condamnations, exclusions, anathèmes et admonestations, qui sont la marque de la vraie barbarie. Car elle use du mensonge pour conserver des privilèges et des modes de pensée éculés.
Que cette manifestation conçue par Géraldine Aresteanu, une de ces “étrangères” qui font la grandeur et l’universalité de la France, reçoive le plus grand succès, car elle unit le talent artistique, le souci de la vérité et la croyance dans les forces de l’esprit. JACK LANG PRÉSIDENT DE L’INSTITUT DU MONDE ARABE

“Étranger” est un mot très riche de signification. L’être humain peut se sentir familier avec le monde entier, il peut être aussi étranger à lui-même et aux autres.
Un grand écrivain arabe, du 9eme siècle je crois, a dit : “l’étranger le plus étranger est celui qui se trouve dans son propre pays.”

Le mot Étranger est un mot nouveau. Avec l’apparition des États-nations, ont été créées des frontières et sont nés citoyens et étrangers. Aujourd’hui, on appauvrit le mot en qualifiant d’étranger quelqu’un de dangereux, d’extérieur au monde, de potentiellement… menaçant.

Je suis fier d’être étranger. Je suis né dans un village qui s’appelle le “village des étrangers” : ce n’est pas de la poésie, c’est la réalité !
Quand je dis que je suis étranger vis-à-vis d’un autre, j’exprime une volonté de le connaître, d’avancer vers lui, de communiquer et de créer quelque chose avec lui, que ce soit utile ou beau.

En tant que directeur général de l’Institut du Monde Arabe, je me considère comme un étranger professionnel : je ne suis pas tout à fait dedans, je ne suis pas tout à fait dehors. Je suis entre deux milieux et j’essaye, à partir de ce poste, de cette position à l’Institut du Monde Arabe, de faire quelque chose POUR la France
et quelque chose à partir de Paris POUR le monde arabe.

C’est grâce à la langue française que j’ai été nommé à ce poste.
C’était un rêve pour moi de revenir à Paris que je connais peut-être mieux que mon petit village. J’y ai vécu une dizaine d’années pendant mes études supérieures dans les années 1980 et pendant les vacances j’y revenais régulièrement. Maintenant, je suis là en tant que directeur général de l’IMA : c’est un défi et c’est une chance ! Un défi, car il faut sans cesse imaginer de nouvelles propositions culturelles.

Trois mots pour définir le mot Étranger : spécial, différent, communicatif.
Je finirai par une citation de Nabokov, grand écrivain russe à qui on demandait s’il ne se sentait pas étranger, déraciné aux États-Unis.
Il répondit “Non, je ne me sens pas déraciné. L’homme est le seul arbre capable de planter ses racines là où il va.”

MOJEB AL ZAHRARI
65 ANS, PAYS D’ORIGINE : ARABIE SAOUDITE
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’INSTITUT DU MONDE ARABE
ARRIVÉ EN FRANCE EN 2016