Andreea Vizitiu

Le mot “étranger” me parle avant toute chose de moi-même.
Je suis étrangère en France depuis toujours, et ce, même si je suis naturalisée française à présent. Je me sentirai étrangère jusqu’à la fin, je pense. Je suis allée à l’école dans la banlieue de Washington et la moitié de ma classe était composée d’enfants étrangers, j’ai grandi dans la diversité. C’est un mot qui m’évoque l’amour aussi, l’amour pour les histoires, pour l’ailleurs, pour les accents : la richesse de la vie somme toute. À mon sens, tout le monde est étranger, ne pas aimer la différence, pour moi, est déconcertant parce que je crois que la différence c’est la richesse absolue, les goûts, les odeurs, les visions, les créativités ! Le Rire Médecin est une troupe polynationale et je travaille avec des comédien·ne·s que j’ai choisi·e·s surtout pour leurs talents d’improvisation et leurs grands coeurs, pas parce qu’ils et elles seraient français·e·s, italien·ne·s, roumain·e·s ou espagnol·e·s. Nous sommes d’ici, d’ailleurs, de nulle part.
Soyons antiracistes, faisons fondre les barrières, les préjudices, les a priori et ne nous protégeons pas derrière des pensées rigides et stéréotypées à propos des autres. La solidarité, la générosité humaines sont à la portée de tous·tes. Je n’aurais pas pu être clown et intervenir dans les hôpitaux si je n’aimais pas les gens, j’aime les gens. Le Rire Médecin est dédié à tous les enfants qui se trouvent à l’hôpital et lorsqu’on y rentre, on y trouve des enfants français, des enfants aux origines multiples, des enfants étrangers.
À Bondy, hôpital où nous sommes allé·e·s jouer, on comptait une trentaine de langues parlées par exemple. Lorsque la langue, le moyen de communication direct, n’est pas un recours, nous devons inventer des moyens indirects et c’est là que la créativité se libère : un langage d’humour, de jeu, d’imaginaire, d’improvisation !
La curiosité est importante pour rencontrer l’autre, pour que survienne la rencontre généreuse, pleine d’amour, la rencontre drôle, douce. En tant que comédienne je pense que les langages du corps, de l’émotion, des regards sont souvent plus importants que les mots prononcés. CAROLINE SIMONDS FONDATRICE DU RIRE MÉDECIN

“Pour moi être étranger, c’est être loin… loin des siens.
C’est une décision qui a été prise par désir de trouver un travail ou de s’accomplir peut-être, pour être mieux ailleurs, suivre la vague d’un amour… Quand je suis arrivée en France, je me sentais déracinée. J’étais seule ici, tous mes repères ont été bousculés.
Mais quand j’ai eu mes enfants, j’ai pris racine. C’est à travers mes enfants que j’ai réussi à me sentir moins étrangère.
Je suis très fière d’être étrangère parce qu’inévitablement, on n’est pas comme les autres. Je suis très fière de faire découvrir la nourriture roumaine, j’adore emmener les Français en Roumanie, leur présenter mon pays. C’est classe de pouvoir voyager chez les uns, chez les autres ! C’est quand même bien quand les frontières peuvent être dépassées !
En France, le théâtre ne se fait pas du tout comme en Roumanie, les comédiens là-bas sont fonctionnaires très souvent. Ici, il y a une richesse extraordinaire ! J’ai rencontré plein de façon de travailler et j’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont fait confiance.

Mais ce qui m’a le plus touchée, c’est de pouvoir faire mon métier dans le cadre social : travailler avec des associations de quartiers, avec des migrants, dans des institutions telles que les IME, les ITEP. Le principe du Rire médecin, c’est d’intervenir à l’hôpital en continuant notre métier d’artistes à l’extérieur et emmener cette
vitalité à l’hôpital. Je trouve l’intérêt de mon métier à travers ces rencontres-là. C’est un cadeau ! Sur scène les applaudissements nourrissent notre égo. Mais à l’hôpital, on ne cherche pas forcément les applaudissements, on ne cherche pas forcément le rire aux éclats, on cherche un regard, la petite larme qui coule,
le câlin (quand on pouvait encore en faire !)… tout se passe sur un fil très sensible de l’émotion.

Ce qui m’a le plus étonnée à mon arrivée en France ? Les odeurs ! Les odeurs de la rue, les parfums des gens, dans les appartements, les magasins… toutes ces saveurs au niveau de l’odorat. J’étais enivrée ! Et puis dès que tu ouvres les frigos en France, c’est les odeurs de fromage (rires). Un mélange d’odeur d’encens, de parfums, de fromage… tout mélangé ! (rires)

Trois mots pour définir le mot Étranger : la solitude (au début surtout !), débrouillard (le brouillard que je devais débrouiller), la rencontre.”

ANDREEA VIZITIU
40 ANS, PAYS D’ORIGINE : ROUMANIE
CLOWN AU RIRE MÉDECIN
ARRIVÉE EN FRANCE EN 2005