Manuel Abreu Da Cunha

“L’étranger, c’est souvent réciproque. Je suis aussi l’étranger”

LAURENT ROSSI CEO DE ALPINE

“L’étranger, c’est quelqu’un qui vit dans une communauté autre que la sienne. Je suis arrivé ici gamin. J’avais cinq ans. J’ai aucun souvenir. J’ai pas demandé la nationalité française, je suis resté comme ça et c’est tout. J’ai un fiston, il est de nationalité française.
Ma femme est française. Je suis l’étranger de la famille (rires).
Si on veut nourrir sa famille, faut bien qu’on travaille. Le travail, c’est déjà une bonne occupation que beaucoup de gens aimeraient avoir.
Ce qui me rend fier, c’est quand on a fini une voiture et qu’elle se met en route aussitôt. Ça nous fait chaud au coeur de travailler dans une
boutique où on fait des voitures de sport. Y’en a beaucoup qui rêveraient peut-être de travailler à notre place. C’est des belles autos !
Mes parents ont voulu venir ici parce que malheureusement, ils crevaient de faim là-bas. Mon père s’est dit “on s’en va d’ici pour essayer de gagner notre croûte, pour faire vivre la famille.”
Quand il le raconte, parfois il est en pleurs. Parce qu’en plein hiver, il traversait une rivière pour venir travailler en France : il avait de l’eau jusqu’au cou et il savait pas nager. Et quand il vous raconte ça… ben… ça vous fait mal quoi ! Il faut en avoir dans le buffet pour sauver sa famille ! Il faut avoir quand même du cran pour le faire !
Il est venu je crois pendant deux ans tout seul, après il est venu chercher ma mère, quelque temps après c’étaient les enfants.
Aujourd’hui ils sont toujours en France. À mon fils, je lui ai expliqué, il le sait.
Quand je vais chez mes parents, si j’y vais tout seul, je parle le portugais. Avec mon fiston, je parle portugais et français, les deux.
Et mes petits-enfants, j’aimerais bien leur apprendre, mais mon fiston dit qu’ils sont encore trop jeunes.
Je retourne au Portugal presque tous les ans. Quand on va là-bas on nous appelle les étrangers : “Tiens v’là les étrangers qu’arrivent !”
Partout où on va, on est étranger : c’est pas toujours facile. Y’a des fois des gens qui disent “sale étranger, dégage toi !”. Je l’ai déjà
entendu plus d’une fois ! Ceux qui vous le disent, à mon avis, ils voyagent pas beaucoup. Ça fait des années que je travaille ici, mes collègues de travail, j’ai jamais eu de souci avec eux, jamais.
Je suis le seul étranger dans ma boite.”

MANUEL ABREU DA CUNHA
54 ANS, PAYS D’ORIGINE : PORTUGAL
OPÉRATEUR COMPÉTITION CHEZ ALPINE
ARRIVÉ EN FRANCE EN 1973